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Interview de Jean-Benoît Moingt, SEO & digital nomad
- 30/10/2023
- Posted by: Lucie
- Category: Interviews
Lucie : Déjà 10 ans de Watussi, un tour du monde en 2016… est-ce que tu peux te présenter et nous raconter ton parcours de Digital Nomad ?
Jean-Benoît : Effectivement, Watussi a fêté ses 10 ans en mars, le temps passe vite !
J’ai découvert le SEO quand j’étais au lycée, lorsque j’ai commencé à apprendre le PHP pour développer des sites internet. Sur mon premier site, par curiosité, j’avais ajouté un compteur de visites, c’était à la mode à l’époque. C’est en m’apercevant qu’il ne s’incrémentait que lors de mes propres consultations, signe qu’il n’y avait aucun autre trafic que le mien, que j’ai découvert ce qu’était le référencement.
Ce domaine m’a rapidement passionné. J’étais jeune et sans doute un peu naïf, je trouvais divertissant de jouer avec les moteurs de recherche, mais je n’imaginais pas un instant que cela puisse être un métier. C’est en découvrant la naissance de l’association SEOcamp que j’ai compris qu’il existait des “référenceurs professionnels” et je le suis devenu moi-même quelques années plus tard.
Alors que je pensais déjà avoir un niveau correct, j’ai pris une grosse claque, en rejoignant une célèbre agence SEO parisienne. J’ai appris des concepts dont je ne soupçonnais pas l’existence et j’ai commencé à travailler pour des grands comptes. Un univers complètement différent de celui de “SEO éditeur de sites” que je connaissais jusque-là.
J’ai ensuite rejoint un des plus gros site internet français, tant en trafic qu’en volumétrie de pages, en tant que responsable SEO. J’ai eu la chance d’arriver au moment où le SEO devenait stratégique pour l’entreprise, qui se reposait jusque-là uniquement sur du trafic lié à sa notoriété. Le potentiel inexploité était énorme, nous avons eu les moyens pour mettre en place une super équipe, tant d’un point de vue pro que perso. Nous avons obtenu des résultats spectaculaires. Ces quelques années ont été enthousiasmantes professionnellement.
En parallèle, j’ai créé Watussi, structure qui me permettait de proposer des formations, de commercialiser l’outil d’analyse de logs que j’avais développé, et de vendre quelques prestations de conseil.
Mi-2016, 10 ans de vie parisienne commençaient à me peser. J’ai rendu les clés de mon appartement pour réaliser un rêve de gosse : partir faire un tour du monde pendant un an avec mon épouse. Au bout de quelques mois de voyage, nous avons rapidement compris que nous aurions beaucoup de mal à reprendre notre “vie d’avant” et avons commencé à envisager de devenir “digital nomad”. C’est-à-dire organiser notre vie professionnelle et personnelle pour pouvoir voyager tout en travaillant et travailler tout en voyageant. Notre tour du monde “vacances” s’est terminé en mai 2017 et nous avons de nouveau largué les amarres dans la foulée, pour une durée indéterminée cette fois-ci.
Watussi est alors devenue mon activité principale, et l’est toujours aujourd’hui. Une agence SEO & SEA 100% à distance. Nous parcourons le monde en changeant d’Airbnb tous les 45 jours en moyenne, tout en travaillant pour gagner notre vie. Cette contrainte de distance a représenté un frein et m’a empêché de signer quelques belles missions. En cela, la crise pandémique et la démocratisation du télétravail nous a bien aidé, ce n’est désormais presque plus un sujet.
Lucie : C’est un sacré défi d’être Digital nomad !
Pour pouvoir voyager/travailler et donc tout miser sur la distance, j’imagine que tu as dû revoir ta façon de travailler, ta façon d’échanger avec les clients ? Comme tu dis, le covid a changé la “norme” et bougé un peu les idées sur le télétravail, quel impact ça a eu pour toi ?
Jean-Benoît : J’ai la chance d’avoir quasi exclusivement des clients avec qui il y a déjà un certain niveau de proximité : ce sont soit des anciens collègues de mon époque salariée, soit des personnes auprès de qui j’ai été recommandé.
Cette proximité a limité le nombre de prospects qui sont partis en courant quand j’expliquais, avant d’envisager une collaboration, que la mission se fera 100% à distance et qu’on ne se verra peut-être jamais IRL.
S’il pouvait y avoir une certaine réticence, elle a quasi complètement disparu depuis les épisodes de confinement qui ont permis une démocratisation du télétravail. Même si les grosses entreprises ont encore assez rarement un mode de travail adapté.
Comme j’ai souvent un décalage horaire avec la France, je suis un adepte du travail asynchrone qui privilégie l’écrit. L’écrit a l’avantage de laisser une trace et oblige à réfléchir, à mûrir ce que l’on souhaite communiquer. La façon d’organiser cette interview est d’ailleurs une excellente illustration d’un mode de fonctionnement asynchone.
A l’opposé, les modes de fonctionnement synchrones, basés sur des réunions rarement préparés, avec trop d’interlocuteurs, sont souvent inefficaces. C’est malheureusement encore le mode de fonctionnement privilégié, et je n’ai pas l’impression que le confinement ait été l’occasion de faire des progrès.
Quand je reviens en arrière, c’est fou comment 2017, année à laquelle j’ai commencé ma vie de digital nomade, semble être un autre siècle. A l’époque, organiser une visioconférence était toute une aventure : entre ceux qui ne comprenaient pas que le lien Google Meet était dans l’invitation, ceux qui n’avaient pas d’écouteurs, ou de micros, ou alors que ces derniers ne fonctionnaient pas… C’était un tel enfer, que j’ai rapidement pris un abonnement VoIP pour pouvoir appeler mes interlocuteurs directement sur leur téléphone. Sur cet aspect, les progrès sont immenses.
Finalement, le défi principal a été dans la logistique personnelle. J’avais, avant ma vie nomade, un environnement de travail agréable : deux grands écrans, un bureau “assis / debout”, un siège ergonomique, la fibre optique, …
Je me retrouve avec un ordinateur portable 13”, des tables et des chaises au confort discutable, et un internet parfois aléatoire. J’ai optimisé tout ce que je pouvais, mais comme ma vie doit entrer dans une valise, il faut faire des concessions.
Pour avoir “travaillé” dans une cinquantaine de pays différents, je peux témoigner que l’internet haut débit n’est pas encore arrivé partout. Je pense que ce problème va disparaître petit à petit grâce à l’amélioration des infrastructures et le déploiement de Starlink. Ironiquement, c’est dans les campagnes françaises que j’ai connu mes plus grosses galères de connexion.
Lucie : Je reviens sur ce que tu disais dans ta présentation, tu as pris une claque en rentrant en agence à l’époque : tout avance, le SEO est mort et revenu à la vie 100 fois, il y a des changements plus ou moins importants dans le domaine, des nouvelles générations avec un apprentissage différent arrivent… mais penses-tu qu’il soit encore possible de se “prendre une claque” à nouveau en 2023 ?
Jean-Benoît : Avant de rejoindre Aposition en 2011, j’étais un « simple » éditeur de sites. On devait être à l’âge d’or de la communauté SEO avec des partages gratuits et désintéressés sur de très gros forums. Personne n’essayait de refourguer des formations ou des PDF au rapport qualité prix douteux.
Pourtant, certains acteurs possédaient de gros avantages concurrentiels. Chez Aposition, il y avait un savoir-faire unique sur l’analyse du comportement des robots d’indexation et la gestion des sites à grosse volumétrie de pages. L’agence possédait des outils (crawler, analyseur de logs, bases de rankings historisées) qui étaient très innovants à l’époque et le « commun des mortels » ne soupçonnait même pas l’existence de tels outils.
Il y avait une forte culture du secret pour conserver de l’avance. La logique d’aujourd’hui serait plutôt de communiquer massivement en commercialisant des outils SAAS.
Sur cet aspect, je ne suis pas sûr qu’une telle « claque » puisse se reproduire en 2023. Je ne crois pas qu’aujourd’hui, une agence puisse se targuer d’une grosse avance technologique par rapport aux autres.
Mais le SEO nous apporte toujours des nouveautés spectaculaires.
J’ai pris une claque quand j’ai découvert que je pouvais rivaliser avec YouTube et Dailymotion dans le « pack vidéo » en hébergeant moi-même mes vidéos.
J’ai pris une claque quand, avec un tout petit site, je me suis positionné sur « coupe du monde 2010 » pendant la cérémonie d’ouverture grâce à Google News.
J’ai pris une claque quand j’ai découvert des failles sur les blocs Google Local.
J’ai pris une claque quand j’ai découvert les volumes de trafic qu’on pouvait générer avec Google Discover.
J’ai pris une claque quand j’ai découvert que mes jeunes cousins cherchaient leurs restaurants sur Instagram ou TikTok plutôt que sur Google.
En ce moment, je prends des claques toutes les semaines en suivant les avancées d’OpenAI.
Et j’en oublie sûrement plein d’autres.
Quant à la « mort du SEO », je commençerais à m’inquiéter lorsque les investissements des entreprises dans ce domaine diminueront, que les responsables SEO auront du mal à se faire recruter et que les indépendants ne trouveront plus de missions. On en est loin. Le SEO bouge sans cesse, il faut s’adapter, mais c’est justement pour cela que nous sommes des passionnés et que nous aimons cette industrie.
Lucie : On s’éloigne un peu du SEO, mais je voudrais revenir sur le côté voyage, sans parler boulot, sans parler organisation… Tu as déjà dessiné des croix sur une carte en sachant exactement les endroits où tu veux aller, tu suis un plan ? Ou ça se décide un peu au fil de l’eau ?
Jean-Benoît : Il y a eu plusieurs phases. En juin 2016, lorsque nous commençons notre voyage, j’ai posé un congé sabbatique, qui a une durée maximum de 11 mois. A l’époque, nous nous disions que c’était le voyage d’une vie et qu’il fallait en profiter pour voir un maximum d’endroits. Nous avons placé des croix sur une carte avec nos souhaits et on a essayé d’en faire un itinéraire cohérent en étant aidé par une agence spécialisée dans les billets d’avion “tour du monde”. En 11 mois, nous avons fait une centaine d’étapes et les gros déplacements en avion, une dizaine de vols, étaient planifiés à l’avance.
A l’issu de ce premier voyage, lorsque nous avons décidé de continuer notre aventure, il n’était plus question de se déplacer à un rythme si élevé. Les vacances étaient terminées, il fallait du temps pour travailler ! Nous aimions cependant l’idée de planifier notre itinéraire. Sans avoir rien réservé, nous avions une idée précise de notre itinéraire des 12 prochains mois.
Après cette deuxième année de voyage, nous avons commencé à moins planifier et faisions simplement attention à avoir des itinéraires cohérents par rapport à nos impératifs de passages en France.
Puis le Covid est arrivé et tout a volé en éclat. Pour l’anecdote, nous avions planifié un roadtrip en Chine pour Mars 2020, super timing ! Notre plan A a donc été annulé, mais également notre plan B, notre plan C, … Il était devenu impossible de planifier quoi que ce soit.
Paradoxalement, après le confinement que nous avons passé en France (dans un appartement trouvé en urgence grâce à la communauté SEO !), nous avons vécu nos deux meilleures années de voyage. Nous ne savions jamais vraiment où nous serions le mois suivant, car il fallait composer avec l’évolution de la pandémie et les ouvertures / fermetures, mais nous avons pu profiter de destinations vides de touristes, à des prix défiants toutes concurrence. En tant que mari d’une vietnamienne, j’ai même pu entrer au Vietnam quelques semaines avant sa réouverture. Je me rappelle, lors d’une visite dans un petit village, que la rumeur s’est répandue comme une traînée de poudre : “les étrangers sont de retour !”.
Depuis, notre niveau de planification est très réduit. Il n’est pas rare que je ne sache pas où je serai le mois prochain.
Lucie : Du coup je te propose de finir cette interview non pas en voyageant dans l’espace, mais dans le temps !
Si tu pouvais aller parler au petit Jean-Benoît que tu étais, tu voudrais lui dire quoi ?
Jean-Benoît : Ahaha, c’est très personnel comme question !
Je lui dirais de ne pas s’inquiéter, tout va bien se passer !
Merci beaucoup d’avoir répondu à mes questions 😉